
Entretien avec Anthony Nkinzo Kamole, Directeur général de l’Agence Nationale pour la Promotion des Investissements (ANAPI) et Président du Réseau international des agences Francophones de Promotion des Investissements (RIAFIP) depuis juin 2022.
Vous avez célébré l’année dernière les 20 ans de l’ANAPI. Quel bilan en faites-vous ?
Atteindre 20 ans, c’est une étape importante dans la vie d’un individu, tout comme dans celle d’une institution. Notre célébration n’était pas tant une festivité qu’une opportunité solennelle de marquer une pause afin de jeter un regard rétrospectif sans complaisance sur le chemin parcouru qui n’a jamais été simple.
Ces deux dernières décennies, l’ANAPI a été à l’initiative et/ou à la coordination de plusieurs réformes fondamentales dans de nombreux domaines, notamment fiscal, juridique et institutionnel en République Démocratique du Congo. De nombreux efforts ont été déployés par les différents Gouvernements qui se sont succédé et par tous les Services réformateurs depuis 2002 pour doter le pays d’un cadre législatif et légal conforme aux standards des économies modernes. Et les prémices de résultats sont visibles aujourd’hui (adhésion de la RDC à l’OHADA, libéralisation des secteurs des assurances et de l’électricité, création d’un Guichet unique de création d’entreprise, promulgation de la Loi sur le partenariat public-privé, Loi sur l’entrepreneuriat, implantation des cellules provinciales du climat des affaires, adoption de la Feuille de route des réformes validée en Conseil des Ministres, etc.). Mais nous devons poursuivre l’élan des réformes et aller encore plus loin, tant la concurrence des pays en développement s’est accrue, sans oublier celle des pays riches, rendant nécessaire une mise à niveau régulière du dispositif d’accueil des investissements directs étrangers (IDE).
Le Code des Investissements de 2002, dont l’ANAPI est l’émanation, présente certes des faiblesses, mais il reste néanmoins l’instrument par excellence de promotion des investissements en RDC. Si, la réflexion s’oriente aujourd’hui autour de sa révision, nous nous félicitons tout de même des résultats que le pays a pu engranger jusque-là. Notons qu’entre 2003 et 2022, 1986 projets ont été admis aux avanta ges du régime général de la Loi n°004/2002 portant Code des Investissements pour un coût total de 54,444 milliards USD, susceptibles d’avoir généré environ 250 000 emplois directs et permanents. Le secteur des services est en pole position avec 972 projets, soit 48,94%, suivi de l’industrie avec 800 projets (40,28%) ; l’Agriculture et Exploitation forestière avec 137 projets (6,89%), et le secteur des infrastructures n’a enregistré que 77 projets en 20 ans, soit 3,88%.
Par ailleurs, dans son rapport annuel 2022 sur les investissements directs étrangers (IDE) dans le monde, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) a classé la RDC parmi les 10 premiers pays africains les plus attractifs pour les IDE avec un flux estimé à 1,87 milliard USD en 2021, représentant une hausse de 13,33% par rapport à l’année précédente.
Bien que toutes ces réalisations soient importantes, nous reconnaissons que beaucoup reste encore à faire. La RDC est redevenue attractive, certes. Cependant, le pays n’enregistre pas encore un flux massif d’investissements comme nous pourrions l’espérer, au regard d’énormes potentialités dont la RDC regorge. S’agissant de l’environnement des affaires, dans de nombreux domaines, la mise en œuvre effective des réformes est encore un vrai défi malgré d’importants efforts consentis. Néanmoins, la dynamique est lancée. Le Chef de l’État, Son Excellence Monsieur Félix A. Tshisekedi Tshilombo, est déterminé à rebâtir les bases d’une économie congolaise moderne dont les rouages administratifs sont bien structurés et où la bonne gouvernance est la règle. Nous maintenons donc le cap. Pour sa part, l’ANAPI s’emploie, suivant ses textes statutaires, à demeurer au cœur de la transformation socioéconomique de la RDC, et de l’émergence d’une véritable classe moyenne congolaise. Notre mandat, 20 ans après la création de l’Agence, est tout aussi urgent que capital. Celui-ci doit pourtant évoluer pour nous permettre de jouer pleinement notre rôle de catalyseur de développement. Ainsi, l’ANAPI nourrit l’ambition de se muer en Agence de promotion et de « développement » des investissements. Les réflexions sur une critique de l’actuel Code des investissements ont déjà été entamées en vue de sa révision au regard des enjeux de l’heure. Aussi pour les cinq prochaines années, un focus sera mis sur le renforcement des ressources humaines au sein de l’Agence, à la recherche des spécialisations sectorielles, s’assurant d’offrir au secteur privé le meilleur accompagnement possible.
Allez-vous renforcer la présence de l’ANAPI dans l’ensemble des 26 provinces ?
Nous avons effectivement l’ambition de renforcer notre présence sur l’ensemble du territoire national dans tous les Chefs-lieux de provinces, et à l’international à travers des hubs dans de régions stratégiques à forte croissance économique. Nous pensons ainsi que l’Agence pourrait toucher de nouveaux publics et gagner davantage en visibilité. Cela peut contribuer également à renforcer la réputation de l’ANAPI, tout en améliorant la reconnaissance de sa marque.
Aussi, dans le cadre de cette stratégie d’extension, nous avons pu, au cours de l’année dernière, redynamiser notre antenne provinciale de Lubumbashi dans le Haut-Katanga, puis nous avons ouvert une nouvelle antenne à Bukavu au Sud-Kivu. Nous comptons cette année annoncer l’ouverture de l’antenne de Matadi dans le Kongo-Central, où le processus est bien engagé, mais également lancer des missions de prospection à Goma dans le Nord-Kivu, Kolwezi dans la province du Lualaba et Mbuji-Mayi dans le Kasaï Oriental.
Cependant, ce déploiement sur le territoire national et à l’international nécessite des investissements importants en temps, en ressources et en expertise pour réussir à se développer et à s’adapter aux différents environnements dans lesquels l’ANAPI va devoir opérer. C’est un autre pari qu’il nous faudra relever.
Que va apporter la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) à votre pays au niveau des investissements ?
La ZLECAf a été créée pour tenter d’inverser une anomalie historique constatée sur le continent, où la plupart des échanges commerciaux de nos pays africains se font avec le reste du monde et concernent principalement les exportations de matières premières, y compris les ressources extractives comme le pétrole et les minéraux, ainsi que l’importation de produits manufacturés, tels que les automobiles, l’électronique et les produits pharmaceutiques, entre autres.
Partout dans le monde, le commerce et les investissements ont été les principaux moteurs de la croissance des économies en développement et ont permis à des centaines de millions de personnes d’échapper à la pauvreté. Cependant, le fractionnement de son marché intérieur a empêché l’Afrique de s’inscrire pleinement dans ce mouvement. Selon les chiffres de la CNUCED, le commerce intra-africain s’est situé à 16,1% du commerce africain total en 2018, un chiffre bien inférieur à celui recensé en Europe (68%) et en Asie (59%). De même, les exportations intra-africaines en 2019 de marchandises ont atteint 70 milliards de dollars, soit seulement 14,4% des exportations totales de l’Afrique. La finalité de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est précisément de changer cette donne.
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) contribuera à générer les ressources financières nécessaires au développement économique de l’Afrique. Elle a pour objet de mettre en place un marché africain intégré où les biens, les personnes, les services et les capitaux circulent librement, complétant les efforts d’intégration régionale au profit des 1,3 milliard d’habitants du continent. Des échanges et des investissements plus faciles et une concurrence plus vive permettraient ainsi à l’Afrique de gagner en attractivité aux yeux des acteurs des chaînes de valeur régionales et des investisseurs.Aussi, avec ses 100 millions d’habitants, sa position géostratégique au cœur de l’Afrique et le vaste marché qu’elle forme avec ses neuf pays voisins, la République Démocratique du Congo est appelée à devenir un hub logistique et financier pour le continent. La RDC a donc un rôle crucial à jouer dans le développement des chaines de valeur régionales, et dans la concrétisation des ambitions portées par la Zone de libre-échange continentale africaine. En parallèle, la ZLECAf offrirait également de nombreux avantages à la RDC, comme à tous les pays du continent, en termes d’investissements, notamment en accroissant notre attractivité pour les investisseurs étrangers grâce à la simplification des procédures douanières et des formalités administratives pour les entreprises ; en stimulant la croissance économique et la création d’entreprises grâce à l’efficacité des échanges commerciaux et la suppression des obstacles à la libre circulation des biens, des services et des personnes ; en favorisant l’industrialisation et la diversification économique, en facilitant l’accès aux matières premières et en favorisant la production locale de biens et de services.
Quels conseils donneriez-vous à de futurs investisseurs en RDC ?
La RDC est un marché prometteur pour les investisseurs à plus d’un titre. Et les perspectives économiques du pays sont extrêmement positives. Les initiatives prises par le Gouvernement de la République ont permis non seulement au pays de mieux résister durant la pandémie de Covid-19 (1,7% du PIB réel en 2020), mais surtout de rebondir plus rapidement après (6,2% en 2021 et 6,6% en 2022). Tous les indicateurs d’appréciation du risque pays renseignent une perspective stable à long terme de l’économie congolaise, comme l’indiquent les agences de notation Moody’s, Standards & Poor et Bloomfield. Les opportunités d’investissements en RDC sont immenses, c’est indéniable. Encore faut-il pour les investisseurs qui s’y intéressent d’avoir la bonne approche et de suivre le processus tel que décrit dans notre loi. Je leur dis, encore et toujours : « Follow the process ! ». Mon conseil aux opérateurs économiques qui s’intéressent à la RDC est le suivant. Premièrement, faites votre « due diligence ». Il est important de bien comprendre le contexte économique, politique et social du pays dans lequel vous souhaitez investir. Les investisseurs devraient se renseigner sur les opportunités d’investissement, les risques associés et les réglementations en vigueur. La RDC est un pays en développement avec des défis économiques, politiques et sociaux encore importants. Il est essentiel de consulter les professionnels, tels que les agences étatiques spécialisées, les avocats, les comptables et les consultants, pour vous aider à naviguer dans les processus d’investissement et à se conformer aux lois et règlements en vigueur.
Ensuite, trouvez des partenaires locaux qui vous aideront à mieux intégrer les réalités locales et à trouver des opportunités d’investissement sur place. Enfin, suivez le processus ! Respectez les normes éthiques et environnementales en vigueur dans le pays. Cela inclut l’adoption des pratiques commerciales équitables, des pratiques durables en matière d’environnement et de responsabilité sociale d’entreprise.
J’invite donc les entreprises qui s’intéressent à la RDC à se renseigner sur nos lois, les modifications positives intervenues ces dernières années, s’agissant par exemple de la promotion des partenariats public-privé, ou encore des mesures prises pour lutter contre la corruption et les crimes économiques ; et surtout à venir se faire leur propre idée sur le terrain, apprendre à connaître la RDC autrement que par le récit qui en est fait dans les médias étrangers. Pour cela, ils trouveront un des meilleurs interlocuteurs possibles, à l’occurrence l’ANAPI, disposée à leur fournir tout l’accompagnement requis au déploiement de leurs activités en RDC. Mais j’insiste : le moment d’oser la RDC, c’est maintenant ! L’avenir du monde se joue en Afrique, mais celui de l’Afrique se joue certainement en RDC.