
Entretien avec Victoire Tomegah Dogbé, Premier ministre depuis le 28 septembre 2020. Première femme à prendre la tête du gouvernement togolais, elle a la charge de mener à bien le nouveau plan stratégique ayant pour finalité d’accélérer la transformation de l’économie du pays.
Quels sont les principaux défis à relever dans le cadre de la feuille de route gouvernementale 2020 – 2025 ?
Avant de parler des défis, je voudrais rappeler le contexte, marqué par trois faits majeurs, ayant conduit à l’élaboration de cette feuille de route. En premier lieu, nous avons appris et tiré des leçons de la mise en œuvre du Plan national de développement (PND) 2018-2022 et des résultats encourageants obtenus par notre pays ces dernières années. En second lieu, il est clair que les grandes ambitions qui découlent des engagements pris par le Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Faure Essozimna Gnassingbé, vis-à-vis des populations doivent désormais orienter nos actions. Le dernier élément était la survenue de la pandémie au coronavirus qui a affecté tous les domaines et n’a épargné aucun pays du monde.
La feuille de route gouvernementale 2020 – 2025 a donc permis d’ajuster la vision nationale intégrée en mettant l’accent sur une plus grande efficacité dans la conduite de l’action publique, la poursuite des réformes et l’accélération de l’obtention des résultats au profit des populations togolaises. Elle a été structurée dans une perspective très focalisée, déclinée en axes stratégiques cohérents et repose sur la vision d’un « Togo en paix, une nation moderne avec une croissance économique inclusive et durable ».
Le premier axe vise à renforcer l’inclusion, l’harmonie sociales et consolider la paix. Cette inclusion recherchée est tridimensionnelle : sociale, économique et financière. Elle permettra de : renforcer les capacités et la résilience des communautés face aux chocs exogènes, faciliter leur accès aux services sociaux de base et renforcer leur autonomisation financière. L’objectif étant de réduire les inégalités en permettant au plus grand nombre de Togolais de s’insérer dans le tissu économique et social de notre pays. L’accent est ainsi mis sur le capital humain en plaçant l’Homme au cœur du développement. Également, il y a l’impérieuse nécessité de continuer à assurer la sécurité, la paix et la justice pour tous. Le deuxième axe de notre feuille de route porte sur la création de richesses et d’emplois en nous appuyant sur nos forces que sont : un pays avec un positionnement géostratégique, une jeunesse dynamique, un pays entrepreneur et réformateur, un pays agile et innovant, un pays durable et inclusif.
La modernisation et l’attractivité de l’agriculture, la plus grande contributrice du PIB (40%), restent des défis majeurs à relever. Cette ambition est au cœur de développement économique et reste le soubassement de la transformation industrielle du Togo. Enfin, les fortes capacités logistiques qu’offre notre port constituent un important gisement de création de richesses qui, bien exploité renforce le positionnement du Togo comme un hub pour la sous-région ouest africaine.
A travers le troisième axe stratégique, nous voulons moderniser notre pays avec notamment la digitalisation des processus et des services. La modernisation du pays et le renforcement de ses structures visent à soutenir l’élan de développement. Revenant sur la pandémie au coronavirus, elle a bien-sûr affecté notre élan de développement. Mais nous avons su résister et nous sommes déjà en phase de reconquête. Grâce à l’ampleur de la diversité et l’agilité des actions, le Togo a achevé l’année 2020 avec 1,8% de croissance dans un contexte de dégradation économique généralisée.
Aussi, la crise ne nous a pas empêché de démontrer que nous pouvons être ambitieux même en pleine crise sanitaire ! Des ambitions d’une plus grande inclusion concrétisées à travers le programme de transfert monétaire « novissi » mis en place en deux semaines à travers une plateforme numérique et qui a touché près d’un million de personnes rendues économiquement vulnérables par la crise sanitaire, l’adoption de la loi instituant l’assurance maladie universelle, le lancement du projet WEZOU qui en 6 mois a permis à 70 000 femmes de bénéficier
d’une prise en charge lors des accouchements. D’importants investissements dans le domaine de l’énergie, des infrastructures économiques, du secteur manufacturier sont lancés pour donner une impulsion nouvelle à la transformation structurelle de notre économie.
Nous avons une conviction : quelle que soit la situation, nous devons rester ambitieux. Ce niveau d’ambition est porté par un leadership fort, qui impulse une très forte dynamique afin de réaliser les objectifs d’une plus grande inclusion, de développement économique et de positionnement du pays qui génèreraient davantage de bien-être pour les populations.
Nous demeurons conscients que la réalisation de ces objectifs n’est possible que dans un climat de paix et de sécurité. Raison pour laquelle, au regard de la menace sécuritaire de plus en plus préoccupante dans la sous-région, nous devons accélérer les réponses aux besoins vitaux des populations car il s’agit pour nous de continuer à réduire les disparités sociales. Il nous faut redoubler de vigilance afin de protéger non seulement nos frontières terrestres ou maritimes, mais également nos populations.
Une partie de votre carrière s’est faite dans le secteur privé. Quelles actions désirez-vous mener pour attirer plus d’investisseurs au Togo notamment dans les transports, l’énergie, le secteur manufacturier ?
Notre pays, sous le leadership du Chef de l’Etat, multiplie les actions en vue d’attirer plus d’investisseurs, qui, de par leurs activités contribuent à l’essor de notre économie. Notre stratégie réformatrice vise à faciliter et à sécuriser la conduite des affaires : nous avons notamment de manière constante amélioré l’attractivité de notre pays ces dix dernières années. Le Togo n’est pas seulement l’un des pays les plus sûrs d’Afrique : c’est le pays où il est le plus facile de faire des affaires sur le continent. Il est possible de créer son entreprise en moins de 20h. Malgré la pandémie de la Covid-19 et ses répercussions macroéconomiques importantes, l’indicateur de création d’emplois n’a cessé de croitre pour se situer à 10% en 2021 ; au même moment le pays a montré une résilience notable dans l’attraction des investissements. Selon le « Rapport 2021 sur l’investissement dans le monde » de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), le Togo a enregistré une hausse spectaculaire de 85% des IDE (investissements directs étrangers) en 2020. Concrètement, les Investissements Directs Étrangers vers le Togo sont passés de près de 191 milliards FCFA (346 millions $) en 2019 à plus de 352,5 milliards FCFA (639 millions $) en 2020. Rappelons qu’en 2020, avec un score de 10,83 obtenu pour l‘indice
Greenfield des IDE, le Togo était le premier pays au monde, par rapport à la taille de son économie, dans l’attraction des IDE. Des projets d’envergure pour le grand bénéfice des populations ont été développés avec le secteur privé ces deux dernières années. Sur le plan énergétique, il s’agit de la centrale à gaz à cycle combiné de Kekeli et la centrale solaire de Blitta, la plus grande centrale photovoltaïque d’Afrique de l’Ouest ; sur le plan de l’industrie, de la réalisation de la plateforme industrielle d’Adétikopé située à 27 km de Lomé. Cette plateforme va accélérer l’émergence de nouvelles industries manufacturières à fort potentiel d’emplois locaux. Le réseau du transport routier continue de se densifier et nous mettons un point d’orgue sur la logistique et le déploiement du numérique. Plus récemment, notre pays a adopté deux importantes lois relatives aux marchés publics et aux contrats de partenariat public-privé.
Également, afin de faciliter les affaires tout en disposant pleinement d’une administration moderne et de procédures claires, un ministère entièrement dédié à la promotion de l’investissement a été créé.
Ceci pour dire que nous continuons de prendre des mesures pour améliorer non seulement l’environnement des affaires dans le pays, mais également au sein de notre administration afin qu’elle puisse dans l’efficience, accompagner les investisseurs. C’est en ce sens que des réformes ont été engagées pour la mise en place de guichet unique de transactions, de mesures fiscales avantageuses, etc…
Je finirai en disant que sur les orientations claires du Chef de l’État, le gouvernement est résolu à offrir un environnement favorable pour attirer des investisseurs variés et de mobiliser davantage notre secteur privé national qui est un partenaire de choix. Toutefois, comme je le mentionnais précédemment, nous n’oublions pas l’aspect sécuritaire qui est un facteur tout aussi important et déterminant dans l’attraction des investisseurs. Le Chef d’Etat togolais est très attentif à ces questions et nous y travaillons activement afin de préserver la paix et la sécurité dans notre pays. 60% de la population togolaise a moins de 25 ans.
Quels sont les mécanismes d’accompagnement mis en place par l’Etat togolais pour l’insertion économique des jeunes ?
Les jeunes constituent en effet la majorité de la population. Ils demeurent un atout, une force vive sur laquelle nous devons compter pour le développement de notre pays.
L’Etat croit au potentiel des jeunes. Quand ils sont bien éduqués, bien formés, bien portants, les jeunes apportent une valeur inestimable à la réalisation de nos ambitions.
C’est pour cette raison que la feuille de route met un accent particulier sur le développement du capital humain avec l’amélioration des infrastructures éducatives, des services de soins de santé, une stratégie active de protection sociale.
Nous avons également compris très tôt qu’il faut accompagner les jeunes dans leur insertion professionnelle.
C’est pour cette raison que des mécanismes d’autonomisation des jeunes, des programmes de développement de l’entrepreneuriat ont été mis en place avec des programmes spécifiques de structuration des chaines de valeurs agricoles dans lesquels les jeunes sont fortement impliqués. Grâce à ces programmes, nous avons pu créer sur une période de 5 ans un peu plus de 700.000 emplois pour les jeunes dans les secteurs de la production et l’agro-industrie (soja, riz, maïs, manioc…) : ceci a permis au Togo de se hisser comme 1erexportateur africain de soja BIO vers l’Europe.
Le résultat est tout simplement édifiant. Aujourd’hui, nous assistons à l’émergence d’une classe d’entrepreneurs jeunes. Le défi est celui de trouver le meilleur accompagnement pour soutenir leur croissance et leur faire jouer pleinement le rôle de moteur de l’économie togolaise. Aussi devons nous le rappeler, notre pays a fait le choix de la promotion du volontariat. Car au-delà de ces programmes d’entreprenariat, nous sommes convaincus qu’il est également important de développer en ces jeunes des valeurs citoyennes. La mise en place des instituts de formation en alternance pour le développement (IFAD) que ce soit dans les domaines agricole (aquaculture, élevage), du bâtiment,de l’énergie renouvelable, de la logistique, participe à cette démarche volontaire d’insertion des jeunes. Comme je l’ai mentionné plus haut, les ambitions affichées par la feuille de route gouvernementale visent un double objectif : assurer une plus grande inclusion et créer un grand nombre d’emplois durables au profit des jeunes togolais.
Quelle est votre vision de l’Afrique de demain ?
Je voudrais tout d’abord rappeler la vision de notre pays : « un Togo en paix, une Nation moderne avec une croissance économique inclusive et durable ». Cette vision qui accorde une place importante à l’inclusion et l’harmonie sociales est impulsée par le leadership fort du Chef de l’Etat et s’appuie sur de solides partenariats avec le secteur privé.
En Afrique, l’avenir sera de plus en plus jeune et de plus en plus féminin ! L’expérience togolaise montre déjà la voie avec des femmes et des jeunes qui occupent des postes clés de responsabilité dans le pays. Nous croyons que l’Afrique dispose aujourd’hui d’un potentiel de jeunes vers lesquels le monde se tournera puisque la plupart des continents sont confrontés à un vieillissement de leur population.
L’Afrique d’aujourd’hui est déjà une Afrique novatrice. Nous pensons donc qu’il conviendrait que les politiques des Etats puissent renforcer l’inclusion dans toutes les sphères et à tous les niveaux permettant de ne laisser personne pour compte et créer le cadre favorable à l’éclosion du génie de chacun.
Avec son port, l’un des plus performants et des plus sécurisés d’Afrique, le Togo prend position au cœur de ce continent comme porte d’entrée en Afrique de l’Ouest. Avec des initiatives comme la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), notre pays offre la possibilité d’avoir accès à un marché continental. Je vous invite donc à découvrir le Togo, ce pays de 8 millions d’habitants, qui est un grand pays d’ambition,de travail et de résultats. Un pays qui démontre une résilience exceptionnelle…