
Entretien avec Nicole Jeanine Lydie Roboty ép. Mbou, Ministre de l’Économie et de la Relance depuis juillet 2020. Diplômée de l’Université Paris I et du Centre d’Etudes financières, économiques et bancaires (CEFEB), elle a été notamment auparavant Directeur de la Négociation et du Suivi des Mobilisations. Elle est la première femme à exercer cette fonction au Gabon.
Pensez-vous qu’il faille, après la crise économique des deux dernières années, accélérer les réformes structurelles au Gabon ?
La pandémie a remis en relief les faiblesses structurelles de notre économie. Celles-ci concernent particulièrement : la très forte dépendance à l’égard des revenus tirés des industries extractives et des importations de certains produits, notamment vivriers ; la vulnérabilité du tissu des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE), déjà en difficulté du fait notamment de l’étroitesse du marché ; l’importance des dépenses publiques et les nécessaires corrections à apporter à leur trajectoire, pour atterrir sur des déficits publics soutenables ; et le niveau encore élevé de la population économiquement fragile, malgré les efforts consentis dans la mise en œuvre de la stratégie d’investissements humains depuis 2015. Devant ce constat, le Gouvernement suivant les orientations de Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, Son Excellence Ali Bongo Ondimba, a dans un premier temps pris des mesures
pour atténuer les effets socioéconomiques de la crise sanitaire, puis adopté en 2021 un plan de relance – Plan d’Accélération de la Transformation (PAT) – articulé autour d’un vaste programme de réformes structurelles et de projets structurants. C’est ce PAT qui a servi de socle aux discussions avec le FMI pour aboutir à la conclusion d’un programme triennal (2021-2022) au titre du mécanisme élargi de crédit en juillet 2021.
En quoi consiste le programme de deuxième génération conclu avec le FMI ?
Le programme de deuxième génération soutenu par l’accord triennal (2021-2022) au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) que nous avons conclu avec le FMI est un ensemble de réformes structurelles que le Gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre au cours des trois années concernées. S’agissant de la politique budgétaire, les réformes structurelles adoptées visent notamment à améliorer la transparence dans
le secteur pétrolier ; rationaliser les exonérations fiscales et douanières ; mettre en place une fiscalité environnementale ; moderniser et déployer les systèmes d’information sur les recettes ; renforcer nos capacités institutionnelles en matière de recettes fiscales ; renforcer le contrôle des dépenses, et améliorer l’efficience et l’efficacité des dépenses publiques ; assurer une bonne gestion des ressources publiques disponibles ; améliorer
la gestion de la trésorerie ; renforcer notre cadre de gestion des investissements publics afin d’améliorer leur exécution et leur qualité et de combler les importantes lacunes en matière d’infrastructures.
Sur la gestion de la dette publique et des risques budgétaires, les engagements pris par le Gouvernement poursuivent les objectifs de renforcer la gestion de la dette, et d’assurer un meilleur suivi du portefeuille des participations de l’Etat. En ce qui concerne la protection sociale, le Gouvernement s’est engagé à poursuivre le renforcement de la protection sociale à travers la définition de nouveaux critères d’éligibilité pour les gabonais économiquement faibles (GEF), la réalisation d’une enquête et la mise en place d’une nouvelle base de données des GEF reposant sur de nouveaux indicateurs de pauvreté. Les réformes du secteur financier, quant à elles, permettront de poursuivre le processus de liquidation des 3 banques publiques, de mettre en place le cadre institutionnel d’inclusion financière et de renforcer le secteur financier.Enfin, sur le domaine des statistiques macroéconomiques, les réformes structurelles convenues visent à renforcer et à moderniser l’appareil statistique national. Je voudrais conclure
sur cette question des objectifs du programme triennal pour indiquer que ledit programme fait l’objet de revues semestrielles.
Comment comptez-vous attirer les financements innovants tout en accentuant la croissance verte ?
La relance de nos économies est devenue la préoccupation commune de tous les gouvernements. Cependant, la mise en œuvre des stratégies de relance demeure conditionnée par la mobilisation de ressources financières importantes à la hauteur des enjeux. Il en découle la nécessité de trouver les financements innovants et adaptés.
En même temps, ces plans de relance adoptés par nos pays doivent être une occasion à saisir pour accélérer le processus de transition écologique qui s’impose à nous. Il s’agit pour nos Etats d’amorcer une évolution vers un nouveau modèle économique et social qui apporte une solution globale et pérenne aux grands enjeux environnementaux de notre siècle et aux menaces qui pèsent sur notre planète. La transition écologique concerne plusieurs secteurs. Parmi ces secteurs figure le secteur énergétique qui passe par la réduction de la production et de la consommation traditionnelle d’énergie et par l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la production et la consommation. C’est ce que nous essayons de faire au Gabon en encourageant la réalisation de projets de production d’énergie hydroélectrique. L’autre secteur à prendre en compte dans la transition écologique, c’est le secteur industriel, activité fortement émettrice de gaz à effet de serre. Il s’agit de repenser ces activités pour réduire leur empreinte carbone et avoir un impact écologique le plus faible possible. Cela passe par une production locale de qualité au travers d’une approche durable. Enfin, nous devons encourager la transition agro-alimentaire permettant de développer une agriculture respectueuse de l’environnement, participant de ce fait à renforcer la résilience sanitaire des populations. Elle vise, parallèlement l’objectif de réduction de notre dépendance alimentaire vis-à-vis des importations.
En réalité, tous ces objectifs se retrouvent dans le PAT. Ainsi, la finance verte constitue un moyen de mobilisation des ressources nécessaires à la mise en œuvre de ces ambitions
exprimées par nos plus hautes autorités, en tête desquelles Monsieur le Président de la République qui ne manque pas une occasion à travers le monde de réaffirmer son attachement à la préservation de l’environnement.
De nombreux investisseurs privés intègrent désormais la notion de développement durable dans leurs projets. Nous devons saisir ce contexte favorable pour faire converger les intérêts des investisseurs privés, la volonté de développement des décideurs politiques et l’atteinte des Objectifs de Développement Durable. En effet, depuis l’émission des premières « obligations vertes » en 2008, la finance verte s’est considérablement développée. Elle s’inscrit dans le cadre de la finance durable, son ambition étant de contribuer au développement d’une économie durable. A cet égard, la finance verte repose sur plusieurs instruments et mécanismes, tels que les obligations vertes ou encore les fonds verts ou environnementaux. En fin de compte, pour le Gabon la dimension « vert » de notre économie et de son financement est suffisamment intégrée dans les programmes socioéconomiques nationaux.
Qu’est-ce que la ZLECAf peut apporter au Gabon ?
La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) vise 4 objectifs majeurs : l’élimination progressive des tarifs douaniers et des barrières non tarifaires ; l’amélioration de la coopération dans le domaine des obstacles techniques au commerce et des mesures sanitaires et phytosanitaires ; le développement des chaines de valeurs aux niveaux régional et continental ainsi que le renforcement des traits du développement et l’industrialisation de l’Afrique. Compte tenu des nombreux avantages qu’offre cet espace économique, les autorités gabonaises ont fait de notre pays un des membres fondateurs de l’accord commercial sur la ZLECAf depuis le 21 mars 2018. Dans la foulée, le Gabon a déposé son instrument de ratification le 7 juillet 2019 à Niamey. De ce fait, cet accord devient contraignant en tout point. Si la ZLECAf est opérationnelle depuis le 1er janvier 2020 avec la ratification du traité par 54 pays, les négociations sur certaines matières qui doivent encadrer le commerce sont en cours.
Ceci dit, la ZLECAf, par le commerce des marchandises, pourra entre autres offrir à notre pays : des opportunités d’affaires ; l’opportunité de s’intégrer dans les chaines de
valeurs régionales ; la possibilité de développer son agriculture ; l’opportunité de promouvoir les produits locaux à travers nos PMEs locales ; l’occasion de revisiter nos accords commerciaux et de coopération ; les possibilités de pouvoir renforcer ces infrastructures en matière de facilitation du commerce pour plus de compétitivité.
Par rapport au commerce des services, la ZLECAf peut offrir au Gabon l’opportunité de devenir un Hub en matière de transit des marchandises au regard de sa position géographique et le marché pour exporter ses services notamment, d’ingénierie, de
cinématographie, de culture, d’audit, En définitive, la ZLECAf est perçue comme une opportunité pour accélérer la transformation structurelle de notre économie dans la mesure où elle induit des réformes d’adaptation en profondeur de notre tissu économique pour le rendre plus compétitif.